BRÉSIL - La littérature

BRÉSIL - La littérature
BRÉSIL - La littérature

Les historiens de la littérature brésilienne considèrent qu’elle commence au XVIe siècle. Toutefois, ce point de vue n’est soutenable que si l’on confond l’histoire littéraire du Brésil – ou l’histoire de l’activité littéraire au Brésil – et l’histoire de la littérature brésilienne. Le concept « littérature brésilienne » présuppose l’existence dans ce pays d’une ethnie formée, ou en voie de formation, et d’une forme de civilisation originale, ou du moins divergente de sa souche, dans laquelle la communauté vit son destin. Le long processus formateur de cette conscience comprend la recherche d’un éthos particulier, puis sa reconnaissance et, enfin, son illustration, et fournit la trame de l’histoire littéraire.

1. La tradition portugaise

Et, certes, on peut admettre que ce processus commence avec l’arrivée du premier colon sur le sol brésilien. On en trouve les marques dans les louanges de la nouvelle « terre promise » qui remplissent nombre d’ouvrages descriptifs consacrés au Brésil au cours des XVIe et XVIIe siècles; dans l’œuvre du père José de Anchieta (1534-1597), missionnaire, poète et auteur d’un théâtre de catéchèse qui n’est pas dépourvu d’intérêt littéraire; chez Gregório de Matos Guerra (1633-1696), poète sacré et satirique, d’inspiration baroque; et dans l’œuvre immense, par son étendue et par sa valeur, du père António Vieira (1608-1697), qui domine la littérature portugaise du XVIIe siècle. Ce sont les trois noms principaux qu’on pourrait retenir pour la période de formation de la nouvelle civilisation. Mais on ne constate pas, avant la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’existence d’un groupe d’écrivains qui partagent la conscience de faire une œuvre reflétant ou illustrant l’ethnie brésilienne. Dès lors, l’activité littéraire cède la place à une littérature naissante, dont le point de départ peut être fixé conventionnellement à la date de publication de la première œuvre marquante.

Le début du XVIIIe siècle voit la fondation de nombreuses académies, ou sociétés littéraires, quelques-unes éphèmères, où domine une esthétique néo-classique. Cláudio Manuel da Costa (1729-1789), auteur de transition, conservateur, le moins brésilien des écrivains de cette période, donna le meilleur de son œuvre dans des sonnets de ses Obras poéticas , 1768 (Œuvres poétiques ). José de Santa Rita Durão (1722-1784) publie en 1781 un poème épique, O Caramuru (L’Européen ), surchargé d’érudition, dans lequel, influencé par les Lusiades de Camões (1525-1580), il chante les aventures d’un des pionniers de la colonisation portugaise. Dans son Uraguai (1769), Basílio da Gama (1741-1795) décrit la lutte entre Portugais et Espagnols, d’une part, et entre les tribus indiennes, d’autre part. D’une inspiration plus lyrique qu’épique, le thème indien est traité avec plus d’art que dans O Caramuru , mais le sujet est trop mince et le poème souffre du parti pris de son auteur qui se fait l’apologiste de la politique du marquis de Pombal, adversaire des Jésuites. L’œuvre d’Inácio José de Alvarenga Peixoto (1744-1792) est restreinte et irrégulière: quelques sextilhas , trois odes inachevées, des vers épars, et surtout une vingtaine de sonnets parmi les plus achevés de l’époque. Manuel Inácio da Silva Alvarenga (1749-1814) est l’auteur d’un poème héroï-comique, O Desertor , 1774 (Le Déserteur des Lettres ) et surtout de Glaura (1799), recueil lyrique composé de « rondeaux » de son invention, d’inspiration italienne, et de madrigaux. Il est le premier à sentir et à exprimer certaines nuances de la sensibilité brésilienne, certain frémissement de volupté à fleur de peau qu’il chante à la sourdine d’une manière incomparable qui permet à certains de mettre Glaura au-dessus de Marília de Dirceu (première partie, 1792; deuxième partie, 1799; troisième partie, d’authenticité suspecte, 1800), chef-d’œuvre de Tomás António Gonzaga (1744-1810). Celui-ci, après une jeunesse passée au Brésil et des études à Coïmbre, fait carrière de magistrat au Portugal, avant d’être nommé à Vila Rica (aujourd’hui Ouro Preto) en 1782. Il s’y lia d’amitié avec Cláudio Manuel da Costa et Alvarenga Peixoto, et s’éprit d’une jeune fille, Marília – « Dirceu » est le surnom arcadien de Gonzaga –, mais, malheureusement, alors qu’il attendait l’autorisation royale de l’épouser, il est accusé de complicité dans un complot (1789) visant à libérer le Brésil de la tutelle portugaise (inconfidência mineira ) et condamné à dix ans de déportation au Mozambique. Marília de Dirceu est une œuvre sans égale dans la littérature du temps. Malgré les conventions stéréotypées, le recueil est souvent d’une éloquente et émouvante simplicité. Marqué par l’épicurisme et un certain stoïcisme horatien, le poète exprime une vision de l’amour et de la vie où l’aimée est le prétexte à la création du poète par lui-même plus qu’elle n’est une idéalisation littéraire. Gonzaga, poète satirique, n’est pas indigne du poète lyrique, comme l’attestent les Cartas chilenas (Lettres chiliennes , composées en 1788-1789), qui fourmillent de portraits féroces et de traits percutants contre la personne et l’administration du gouverneur de Minas Gerais. Le penchant pour la satire valut un exil temporaire à Domingos Caldas Barbosa (1740-1800). Établi au Portugal dès 1762, il ne tarda pas à briller par ses dons musicaux et poétiques. Il est le premier à utiliser des formes populaires, lundus et modinhas , qui donnent une saveur toute brésilienne à sa Viola de Lereno (Lyre de Lereno : vol. I, 1798; vol. II, 1826), dont nombre de compositions, simples et élégantes, sont entrées dans le folklore.

L’œuvre de ces auteurs, regroupés, à l’exception de Caldas Barbosa, sous la dénomination commode mais impropre d’escola mineira (école du Minas Gerais), tous élèves des Jésuites et formés à Coïmbre, marque le début de la littérature brésilienne. Relevant ainsi de la culture portugaise et européenne, ils ont cependant conscience d’appartenir à une nation brésilienne naissante, de plus en plus fière de sa particularité et désireuse d’affirmer son indépendance politique. Il est significatif que Cláudio Manuel da Costa, Alvarenga Peixoto, Silva Alvarenga et Tomás Gonzaga sont tous impliqués dans l’inconfidência mineira.

Ce que le soulèvement désamorcé ne put accomplir, les événements politiques en Europe devaient commencer à le réaliser. Chassés par l’invasion napoléonienne du Portugal, le roi et sa cour se réfugient en 1808 à Rio de Janeiro, qui remplaça Vila Rica comme centre culturel du pays. La colonie devint subitement métropole, puis royaume, en 1815. Le Brésil, jusqu’alors culturellement isolé, s’ouvrit au monde, et l’existence d’une cour stimula considérablement la vie intellectuelle et politique. Indépendant politiquement depuis 1822, le Brésil commença à le devenir littérairement avec le début du romantisme, marqué par la publication à Paris, en 1836, de Suspiros poéticos e Saudades (Soupirs poétiques et saudades ) de Gonçalves de Magalhães (1811-1882).

2. Recherche d’un éthos

Suspiros poéticos e Saudades n’innovaient ni dans la forme ni dans le fond; l’emphase tente en vain d’ajouter quelque émotion à bien des lieux communs auxquels échappe un seul poème, « Napoleão em Waterloo ». Mais l’exemple de Gonçalves de Magalhães donna une grande impulsion au romantisme et exerça une influence considérable. Le grand poète de la première génération romantique est António Gonçalves Dias (1823-1864), considéré encore aujourd’hui par beaucoup comme le plus grand de tous. Il retire beaucoup de la lecture des poètes portugais classiques, et ses Primeiros Cantos (Chants , première série, 1847) Segundos Cantos (Chants , seconde série, 1848) et Ultimos Cantos (Derniers Chants , 1861) constituent la première et la plus haute expression de la nature et de l’ambiance brésiliennes, particulièrement du thème indien, auquel il a consacré quelques-uns de ses plus beaux vers. On lui doit aussi des poèmes d’amour d’un lyrisme véhément.

Alvares de Azevedo

Alvares de Azevedo (1831-1852), malgré sa brève carrière, est une des figures les plus représentatives de la seconde génération romantique. On trouve dans ses Obras poéticas (vol. I, 1853; vol. II, 1855) un mélange byronien de doute, de taedium vitae , de réalisme, d’humour et d’une mélancolie entretenue par une santé précaire. Junqueira Freire (1832-1855) est marqué par les trois années qu’il passa dans un couvent bénédictin. La vie de couvent fut pour lui une prison, la poésie une vengeance contre un mode de vie qui prive l’homme de sa liberté et de sa dignité. Le sentiment religieux et un érotisme exacerbé marquent Inspirações do claustro , 1855 (Inspirations du couvent ) et Contradições poéticas (Contradictions poétiques , s. d.). Le meilleur de Luís Nicolau Fagundes Varela (1841-1875) est dans Cantos e Fantasias , 1865 (Chants et Fantaisies, ). Mais le plus important des poètes de cette époque est Casimiro de Abreu (1839-1860) qui évoque dans son unique recueil, As Primaveras , 1859 (Les Printemps ) avec une suave mélancolie, les décors de son enfance et ses souvenirs de jeunesse, l’amour et la peur d’aimer, dans une langue simple et mélodieuse. Dernier des romantiques, António de Castro Alves (1847-1871) est le poète de la saudade , de la plénitude sentimentale et charnelle de l’amour. Ses évocations de la nature, caractérisées par une sensibilité visuelle et plastique, fixent des tableaux dans un style qui annonce certains aspects du Parnasse. Son adhésion à la cause abolitionniste s’exprime dans des compositions où il donne libre cours à une éloquence dramatique, fougueuse, pleine d’hyperboles et d’antithèses violentes, entachée parfois d’une certaine verbosité. À une sensibilité émoussée par trois siècles d’esclavage, il a su imposer l’esclave comme figure tragique. Espumas fluctuantes , 1870 (Écumes fluctuantes ), seul recueil publié de son vivant, A Cachoeira de Paulo Afonso , 1876 (La Cataracte de Paulo Afonso ), Os Escravos , 1883 (Les Esclaves ), Hinos do Ecuador , 1921 (Hymnes de l’Équateur ) représentent l’apogée du romantisme.

Vers le réalisme

C’était dans la prose, dans le roman et le conte que le romantisme devait trouver l’instrument de la découverte et de l’interprétation de l’éthos brésilien, passant du pittoresque au réalisme. Et A Moreninha , 1844 (La Petite Brune ), de Joaquim Manuel de Macedo (1820-1882), est à certains égards déjà un roman réaliste, dont la toile de fond est la société de Rio de Janeiro. On peut en dire autant des Memórias de um sargento de milícias , 1852-1853 (Mémoires d’un sergent des milices ), unique roman de Manuel António de Almeida (1831-1861), rédigé dans une langue simple et directe, plein de péripéties et de personnages types, d’aperçus de la société pittoresque du Rio de Janeiro du premier tiers du siècle. Mais le maître du roman romantique est José de Alencar (1829-1877), écrivain fécond par son œuvre et par son influence. Ses principaux romans sont O Guarani , 1857 (Le Guaranis , nom d’une tribu indienne), roman historique dans lequel il créa, avec la figure de l’Indien Peri, un héros mythique répondant au besoin que ressentait une société mal adaptée, en proie à des luttes politiques constantes, d’un paladin au-dessus de la mêlée quotidienne. Les personnages de O Guarani appartiennent à un monde légendaire que la sensibilité brésilienne explorait depuis longtemps, à la recherche d’un passé qui lui manquait. Iracema (1865) est le chef-d’œuvre de la prose poétique. Luciola (1868) et Senhora , 1875 (Madame ), dans lesquels Alencar aborde la société contemporaine, sont peut-être ses meilleurs livres. Son œuvre est thématiquement fondée sur la discordance de situations sociales ou sentimentales. Poète, mais plus connu comme romancier, Bernardo Guimaraens (1825-1884), avec O Garimpeiro , 1872 (Le Chercheur d’or ) peut être considéré comme un des fondateurs du régionalisme. Il est l’auteur d’un roman abolitionniste, A Escrava Isaura , 1875 (L’Esclave Isaure ), le plus célèbre de ses livres, bien qu’inférieur à O Ermitão de Muquém , 1864 (L’Ermite de Muquém ) et O Seminarista , 1872 (Le Séminariste ), qui traite du célibat des prêtres.

Battu en brèche par la « génération de soixante-dix » au Portugal et par le réalisme français, le romantisme s’éteint vers 1880. Le mouvement avait été autant le mûrissement d’une tradition autochtone que le résultat d’une esthétique importée. On allait désormais pouvoir cultiver la littérature pour elle-même; l’écrivain, entouré d’un prestige nouveau, devenait l’héritier d’une tradition littéraire déjà riche en expériences. Joachim Maria Machado de Assis (1839-1908) est le premier écrivain brésilien qui se soit reconnu des prédécesseurs qu’il étudia, assimila et surpassa par son génie. Dramaturge, auteur d’une œuvre mieux adaptée à la lecture qu’à la scène, bon poète – Crisálidas , 1864 (Chrysalides ), Falenas , 1870 (Phalènes ), Americanas , 1875 (Poèmes américains ) –, sa gloire repose sur ses romans, dont les meilleurs sont Memórias póstumas de Bras Cubas , 1881 (Mémoires posthumes de Bras Cubas ), Quincas Borba (1891), Dom Casmurro (1900), et surtout sur ses contes : Papéis avulsos , 1882 (Feuillets épars ), Histórias sem data , 1884 (Histoires sans date ), Varias Histórias , 1896 (Contes divers ), Páginas recolhidas , 1899 (Pages recueillies ), Reliquias de casa velha , 1906 (Souvenirs de la vieille maison ). Dissimulés sous des intrigues banales, la pensée et l’art de Machado sont le résultat d’un long combat livré, avec son humour caractéristique, contre « sa vieille et chère ennemie, la vie ». Il essaye, dit-il, de parler des hommes comme en parleraient les mouettes, si Buffon était né mouette.

La période qui va de 1875 à 1922 se caractérise par une richesse et une diversité accrues de la production littéraire, qui témoignent d’une maturité accrue de la civilisation et de la culture brésiliennes. Au romantisme succèdent, dans la prose de fiction, le réalisme et le naturalisme – dont les frontières sont floues – et, dans la poésie, les tendances parnassienne et symboliste. Alfredo d’Escragolle Taunay (1843-1899), dans Inocência , 1872 (Innocence ), donne une œuvre qui peut être considérée comme une transition entre romantisme et réalisme, dont l’introducteur est Aluísio de Azevedo (1857-1913) avec O Mulato , 1881 (Le Mulâtre ). L’anticléricalisme, le traitement de la situation marginale du mulâtre, la peinture d’une société dominée par les préjugés frappèrent par la nouveauté. Casa de pensão , 1884 (La Pension ) et surtout O Cortiço , 1890 (Le Bouge ) représentent le meilleur d’une œuvre qui excelle dans le traitement des groupes plus que dans la création des personnages. Inglês de Sousa (1853-1918) devança Azevedo avec O Coronel Sangrado , 1877 (Le Colonel Sangrado ), mais le livre n’éveilla guère l’attention; son meilleur roman est O Missionário , 1888 (Le Missionnaire ). A Carne , 1888 (La Chair ), de Júlio Ribeiro (1854-1890), remporta un succès de scandale. Dans A Normalista , 1893 (La Normalienne ), Adolfo Caminhal (1867-1897) critique une société corrompue par l’hypocrisie, par la faiblesse de ses principes religieux et moraux; il traite de la perversion des mœurs des marins, avec une sobre maîtrise, dans O Bom Crioulo , 1895 (Le Bon Créole ).

Souci de l’homme

Raul Pompéia (1863-1895), dans un style original, riche, musical, s’écarte du réalisme dans O Ateneu , 1888 (L’Athénée ), qui est essentiellement la description d’une sensibilité d’adolescent, telle qu’elle subsiste dans la mémoire de l’adulte. Bien différente est l’œuvre d’Henrique Maximiliano Coehlho Neto (1864-1934), et d’abord par son étendue: cent vingt volumes. Contraint de vivre de sa plume, et doué d’une imagination puissante, il n’eut pas le temps de polir ses livres, qui sont d’une valeur fort inégale. Maître d’un vocabulaire d’une rare richesse, cherchant toujours le mot juste, il éblouit, quitte à pêcher par la surcharge. Proclamé prince des prosateurs, il jouit de son vivant d’un prestige considérable, mais sa réputation, depuis le modernisme, a connu une éclipse. Parmi ses nombreux romans, on distingue A Capital federal , 1893 (La Capitale fédérale ), Miragem , 1898 (Mirage ), O Morto , 1898 (Un homme mort ), A Conquista , 1898 (La Conquête ), Rei negro , 1914 (Le Roi noir ), Fogo-fátuo , 1928 (Feu follet ). L’œuvre du conteur est cependant supérieure: O Jardim das confidências , 1908 (Le Jardin des confidences ), Banzo (1913) et surtout Sertão (1896) contiennent des pièces uniques en leur genre. Sous un titre voisin de ce dernier paraît en 1902 un des maîtres livres de la littérature brésilienne. Os Sertões d’Euclides da Cunha (1866-1909). L’ouvrage, qui connut d’emblée un grand succès, alliant à une grande érudition scientifique la probité intellectuelle et la sensibilité poétique, est issu d’un reportage sur la campagne militaire menée en 1897 contre le réduit des sertanejos fanatisés. C’est un témoignage passionné, dans un style caractérisé par la précision technique et l’opulence baroque, quelquefois pompeuse. Les titres des trois parties du livre révèlent déjà, dans leur simplicité dramatique, les données d’un problème qui reste encore à résoudre: la terre, l’homme, la lutte. L’œuvre d’Afonso Henriques de Lima Barreto (1881-1922) – Recordações do escrivão Isaías Caminha , 1909 (Souvenirs du journaliste Isaías Caminha ), O Triste Fim de Policárpio Quaresma , 1915 (La Triste Fin de Polycarpe Carême ), Vida e Morte de M. J. Gonzaga de Sá , 1919 (Vie et Mort de M. J. Gonzaga de Sá ), Clara dos Anjos (1923-1924) – est celle d’un citadin sensible aux drames de la classe moyenne. Ses personnages sont parmi les plus typiques et les mieux dessinés, ses romans remarquables par la finesse de l’analyse et la fluide propriété de leur style. José Bento Monteiro Lobato (1882-1948), créateur de Jeca Tatu, type du métis arriéré, fataliste, exploité, de l’intérieur du pays, est l’auteur de trois importants recueils de contes, Urupês (1919), Cidades mortas , 1919 (Villes mortes ) et Negrinha , 1920 (La Petite Noire ) – le premier est le meilleur et le plus connu – dans lesquels il dépeint l’abandon d’un secteur rural négligé, les villes de la vallée du Paraíba, en déclin après l’âge d’or du café.

Quatre poètes « parnassiens »

Le Parnasse est représenté principalement par quatre poètes. Alberto de Oliveira (1857-1937), encore romantique dans Canções românticas , 1878 (Chansons romantiques ), est le plus attaché à la discipline formelle des parnassiens. Ses œuvres sont réunies en quatre séries de Poesias publiées entre 1900 et 1927. Raimundo Correia (1859-1911) a laissé de beaux sonnets et excelle à rendre la suave mélancolie du paysage brésilien dans Primeiros Sonhos , 1879 (Premiers Rêves ), Sinfonias , 1883 (Symphonies ), Versos e Versões , 1887 (Vers et Versions ), Aleluias , 1891 (Alléluias ). Vicente de Carvalho (1866-1924) s’exprime davantage selon les normes de la tradition portugaise dans une œuvre qui porte des traces de symbolisme: Rosa, rosa do amor , 1902 (Rose, rose d’amour ), Poemas e Canções , 1908 (Poèmes et Chansons ). La figure dominante est celle d’Olavo Bilac (1865-1918), reconnu comme un maître dès la parution de ses Poesias (1888). Vénéré de son vivant, il souffre encore aujourd’hui des coups portés par le modernisme, malgré la perfection formelle de ses poèmes. Populaire cependant, il demeure le poète qui s’adapte au goût moyen, ce qui est une manière de devenir classique.

Un grand poète mystique

Le symbolisme fait son apparition vers 1880 et exerce une certaine influence sur des poètes tenus pour parnassiens et aussi sur quelques prosateurs, parmi lesquels Raul Pompéia, Lima Barreto et surtout Graça Aranha (1868-1921) qui, avec Canãa , 1911 (Canaan ) écrit le seul grand roman symboliste. Dans la poésie, deux œuvres se détachent. João da Cruz e Sousa (1863-1898), marqué profondément par sa négritude, qu’il sentait comme une véritable « douleur d’exister », voyait dans l’art la possibilité de résoudre les tensions qui le déchiraient. Son œuvre – Missal (Missel ), Broquéis , 1893 (Boucliers ), Faróis , 1900 (Fanaux ), Últimos Sonetos , 1905 (Derniers Sonnets ) – recherchée, oratoire, musicale, empreinte d’une ferveur tragique, montre un goût pour les formes lapidaires. Alphonsus de Guimaraens (1870-1921), le plus grand poète mystique d’une littérature qui n’en compte guère, montre le plus pur de son inspiration dans « Pulvis », publié dans la première édition de ses Poesias (1938). Il propose un message de foi dans une œuvre toute en demi-tons, dominée par un désenchantement résigné. Augusto dos Anjos (1884-1914), dans Eu (Moi , 1912), réalise l’ambition d’une génération précédente, avec sa poésie « scientifique » écrite dans une langue rugueuse, truffée de termes savants, mais pleine d’inventions aussi, et qui annonce certains aspects du modernisme.

3. Affirmation d’une personnalité culturelle

Parnasse et symbolisme, en 1918, sont des veines épuisées. Les progrès culturels, l’évolution économique et politique, voire ethnique, du pays rendaient une révision indispensable. Le Brésil avait attiré un million d’immigrants depuis 1907, l’économie était prospère.

Débuts du modernisme

À l’approche du centenaire de l’indépendance nationale, un frémissement de nationalisme et d’optimisme parcourut le pays. L’intelligentsia était décidée à rompre définitivement les liens culturels avec le Portugal et à proclamer son indépendance artistique. São Paulo, centre commercial du pays, proposait dans son « mélange épique » et cosmopolite le modèle de ce que devait être le Brésil de demain, qu’on voyait prêt à assumer son destin historique. Tel fut le climat dans lequel, en 1922, préparée par une bruyante campagne de presse, eut lieu la Semaine d’art moderne qui marque le début du modernisme. « Le Brésil aura une littérature nationale, il doit parvenir, tôt ou tard, à une originalité littéraire. L’inspiration puisée dans des sujets nationaux, le respect de nos traditions et la soumission à la voix de la race accéléreront ce résultat final », écrivait-on. Bref, le modernisme reprenait la tâche que le romantisme s’était assignée et qu’il avait imparfaitement réalisée. On liquidait le romantisme et toutes ses séquelles, tout en se tournant vers la tradition, qui était le legs du romantisme, de sorte que le modernisme est à la fois un aboutissement et un recommencement. On se méfiait du sublime, du patriotisme bourgeois satisfait, on se plongeait dans le quotidien amer que le pittoresque cachait.

Le Brésil cherchait une expression adaptée à la conscience nouvelle qu’il prenait de lui-même. On attendait un Malherbe, il vint. En la personne de Mário de Andrade (1893-1945), musicologue et musicien, folkloriste, historien de l’art, journaliste, romancier, conteur et poète. L’exemple, Paulicéia Desvairada (1922), contenant vingt-deux poèmes et une « préface intéressantissime », précède l’ars poetica attendue, A Escrava que não é Isaura , 1925 (L’Esclave qui n’est pas Isaure ). Dans Losango cáqui , 1926 (Losange kaki ) et Clã de Jabuti , 1927 (Clan des Jabutis ), Mário de Andrade commence à « brésiliser » (abrasileirar ) la langue par l’introduction d’éléments tirés du parler quotidien – ils dominent dans Belazarte (1934) – ou du folklore, comme dans Macunaíma (1928). À partir de Remate de males , 1930 (Comble de malheur ), il délaisse un certain pittoresque extérieur, pour faire le tour de lui-même, élaborant une des œuvres les plus hautes de la littérature brésilienne, réunie dans Obras completas , 20 vol., 1944 (Œuvres complètes ). Manuel Bandeira (1886-1968), d’un anticonformisme déclaré dès 1917 dans A Cinza das horas (Cendre des heures ), tourne le dos à ce qu’il appelle le lyrisme « fonctionnaire public ». Carnaval (1919) est marqué par un ton ironique, le langage quotidien et des recherches de rythme, poursuivies dans Libertinagem , 1930 (Libertinage ), qui contiennent quelques-uns de ses plus beaux poèmes. Estrela da manhã , 1936 (Étoile du matin ), Lira dos cincuenta anos , 1940, éd. augm. 1944 (Lyre de la cinquantaine ) marquent les étapes d’une carrière sans défaillance qui aboutit à Poesias completas (1948, éd. augm. 1951), Poesia e Prosa (1958, 2 vol.). Introducteur du vers libre, il a su adapter à la sensibilité moderne une grande variété de rythmes et de mètres réguliers, employés dans un style à la fois familier et soigné. Oswald de Andrade (1890-1954), spirituel, doué d’une grande pénétration critique qui alimente l’humour et la satire, est un des animateurs du mouvement et une de ses figures les plus originales. Il fait suivre son Manifesto de poesia Pau-Brasil , 1925 (Manifeste de poésie du Bois-Brésil ), du Primeiro Caderno do aluno de poesia O. de A. , 1927 (Premier Cahier de l’élève de poésie O. de A. ). Il s’agissait de créer la poésie à partir d’une appréhension neuve et « naïve » du monde, dans des compositions amétriques, brèves, elliptiques, qui tendent vers l’épigramme et reposent sur la force suggestive des mots. En 1928, il lance le mouvement « anthropophage », que l’on peut définir comme un indianisme à rebours. Le « mauvais sauvage » exerce sa critique contre les impostures du monde, dans le but d’intégrer l’homme dans la joyeuse expansion de ses instincts vitaux. La thèse anthropologique devait être reprise et développée dans A Crise da filosofia messiânica , 1950 (La Crise de la philosophie messianique ). Dans des romans innovateurs, Memórias sentimentais de João Miramar , 1924 (Mémoires sentimentaux de Jean Miramar ), Serafim Ponte Grande (1933), il fait entrer la poésie dans la prose. Son œuvre a joué un rôle décisif dans la formation de la littérature contemporaine. Cecília Meireles (1901-1964), d’abord influencée par le symbolisme, s’écarte des écoles et trouve une expression personnelle à partir de Viagem , 1939 (Voyage ), suivi de Vaga Música , 1942 (Vague Musique ), Mar Absoluto , 1945 (Mer absolue ), Retrato natural , 1949 (Portrait au naturel ), Doze Noturnos da Holanda , 1952 (Douze Nocturnes de Hollande ), Romanceiro da Inconfidência (1953), Cancões , 1956 (Chansons ). Elle voit dans le monde un spectacle digne de contemplation et d’amour, sur lequel elle jette un regard panoramique et précis, caractérisé par une grande acuité sensorielle. Sa poésie, d’une mélancolie réfléchie, est une tentative pour réinventer une vie vivable. Cassiano Ricardo (1895-1974), après des débuts parnassiens, adhère au modernisme dans Vamos caçar papagaios , 1926 (La Chasse aux perroquets ). Chez lui domine la brasilidade , tant dans le choix des thèmes que dans leur traitement. Martim-Cererê (1928) est un chant de nationalisme politique et littéraire. Ses Poesias completas (1957) réunissent une œuvre thématiquement limitée, qui exprime une attitude perplexe face à la vie. Raul Bopp (1898-1984) est l’auteur de Cobra norato (1931), un des grands livres du modernisme, inspiré du folklore amazonien, qui fournit un passé mythique dans lequel la tradition est conçue comme contemporaine de la création du monde.

Deuxième vague moderniste

La seconde génération de poètes modernistes n’est pas inférieure à la première. À la phase proprement moderniste de Jorge de Lima (1893-1953) appartiennent O Mundo do menimo impossivel , 1925 (Le Monde de l’enfant impossible ) et Essa negra fulô , 1928 (Une négresse café au lait ), histoire poétique de l’esclavage. L’atmosphère du Nord-Est, l’enfance, la poésie nègre sont présentes aussi dans Poemas (1927), Novas Poemas (1929), Poemas escolhidos , 1932 (Poèmes choisis ). Converti par la suite au catholicisme, il s’exprime dans un style hermétique et complexe dans Invenções de Orfeu , 1952 (Inventions d’Orphée ). Augusto Frederico Schmidt (1906-1965) rejette le pittoresque et la virtuosité en faveur d’un style direct dans Canto de Brasileiro A.F.S. , 1928 (Chant du Brésilien A.F.S. ) et Mar desconhecido , 1942 (Mer inconnue, ). Vinicius de Morais (1913-1980) distingue lui-même deux phases dans son œuvre: la première, métaphysique et mystique, comprend O Caminho para a distância , 1933 (Le Long Chemin ), Forma e Exegese , 1935 (Forme et Exégèse ), Ariana , a mulher , 1936 (Ariane, la femme ); la seconde réunit Cinco Elegias , 1943 (Cinq Élégies ), ouvrage de transition, Poemas, Sonetos e Baladas (1946), qui marque sa pleine maturité, Pátria minha , 1949 (Ma patrie ) et Novos Poemas , 1959 (Poèmes nouveaux ) qui montrent une préoccupation plus marquée pour le monde matériel. C’est une œuvre pleine d’expériences prosodiques et de mots nouveaux que l’auteur invente avec une certaine virtuosité. Tout récemment, il s’est mis à composer des chansons dans le style bossa nova . Murilo Mendes (1901-1975) est le poète le plus difficile, et peut-être aussi le plus irrégulier, de cette génération. Poemas (1930) lui valut le prix Graça Aranha. Ses livres les plus importants sont História do Brasil , 1932 (Histoire du Brésil ), satirique et spirituel, Tempo e Eternidade , 1935, avec Jorge de Lima (Temps et Éternité ), O Visionário , 1941 (Le Visionnaire ), une des œuvres les plus représentatives de la seconde phase du modernisme, As Metamorfoses , 1944 (Les Métamorphoses ), Mundo enigma , 1945 (Monde énigmatique ), Poesia liberdade , 1947 (Poésie liberté ). Poesias (1925-1955) réunit les ouvrages mentionnés, sauf le second, avec des inédits. Pour Murilo Mendes, la poésie est une clef de la connaissance et doit proposer à l’homme une véritable transfiguration de son destin. Son art est délibéré, sous-tendu par la thématique du temps, attentif aux implications des métaphores, d’une diction oblique, cherchant à incorporer l’éternel aux contingences. Carlos Drummond de Andrade (1902-1987), excellent prosateur, est l’auteur d’une œuvre poétique considérable, en voie de devenir classique. Alguma Poesia , 1930 (Quelques Poèmes ), Brejo das almas , 1934 (Marécages des âmes ), Sentimento do mundo , 1944 (Sentiment du monde ), Poesias (1942), A Rosa do povo , 1945 (La Rose du peuple ), Novos Poemas (1947), Claro Enigma , 1951 (Claire Énigme ), Viola de bolso , 1953 (Guitare de poche ), Fazendeiro no ar , 1953 (Fermier de l’air ), Lição de coisas , 1962 (Leçon de choses ) sont une longue et patiente recherche, conduite avec une acuité constante à travers le banal quotidien, du secret indicible de ce que le poète appelle « la claire énigme de la machine du monde », qu’il essaya de suggérer plus qu’il ne s’efforce de le dire. De là un effort constant vers un style dépouillé, dense, qui révèle sans décrire, où l’intelligence contrôle la sensibilité et où l’humour tempère la mélancolie.

De grandes œuvres romanesques

La publication de A Bagaceira , 1928 (Le Hangar où l’on jette les déchets de la canne à sucre), par José Américo de Almeida (1887-1980) marque le début d’une série de grandes œuvres romanesques, qui ont vu le jour surtout entre 1930 et 1945. Raquel de Queirós (née en 1910), auteur de João Miguel , 1932 (Jean-Michel ), Caminhos de pedra , 1937 (Chemins de pierre ), As Três Marias (1939), est surtout connue pour son premier roman, O Quinze , 1930 (L’Année 1915 ). Son œuvre est caractérisée par une intense préoccupation sociale alliée à la pénétration psychologique; elle fait une place importante à la situation de la femme. José Lins do Rego 1901-1957) laisse une œuvre monumentale, avec son « cycle de la canne à sucre «: Menino de engenho , 1932 (Fils de planteur ), Doidinho (1933), Bangüê (1934), Usina , 1936 (Le Moulin à sucre ), Fogo morto , 1943 (Feux éteints ), considéré comme son chef-d’œuvre; son « cycle du mysticisme et de la sécheresse » (celle-ci est une plaie endémique du Nord-Est, dont l’auteur est originaire): Pedra Bonita (1938), Cangaceiros (Bandits , 1953); auxquels il faut ajouter trois romans liés aux deux cycles par leurs thèmes: Moleque Ricardo , 1935 (Richard , le petit Noir ), Pureza , 1937 (Pureté ) et Riacho doce , 1939 (Eau douce ); cette œuvre trouve son origine dans la rédaction de simples souvenirs d’enfance, objet d’un livre en 1956, Meus verdes anos (Mes Vertes Années ). L’ensemble est une évocation nostalgique du monde des maîtres et des esclaves, saisi à son déclin. L’importance de Jorge Amado (né en 1912), prix Staline de littérature 1959, vient du lyrisme engagé de ses premiers livres, O País do carnaval , 1931 (Le Pays du carnaval ), Cacau , 1933 (Cacao ), Suor , 1934 (Sueur ), qui décrivent la misère et l’oppression des travailleurs ruraux et des classes populaires. À partir de Jubiabá (1935), le plus achevé de ses romans, et de Mar morto , 1936 (Mer morte ), le souffle lyrique l’emporte sur l’aspect revendicatif de son œuvre, sans toutefois le diminuer. Terras do sem fim , 1942 (Le Pays sans retour ), considéré comme le meilleur de ses livres, continue dans la même veine, mais avec une compréhension plus ample des motivations humaines. Gabriela, cravo e canela , 1958 (Gabrielle ) mêle à la critique sociale un humour picaresque. Os Velhos Marinheiros , 1960 (Les Vieux Marins ) exalte la liberté, thème fondamental de son œuvre. Ses personnages, créés à partir d’une observation teintée de communisme romantique, n’échappent pas, bien souvent, à la superficialité, que rachètent la force descriptive et le sens du mouvement des meilleurs moments. Érico Veríssimo (1905-1975), le plus populaire des romanciers brésiliens, écrivain de ton classique, est l’auteur de Clarissa (1935), Caminhos cruzados , 1935 (La Croisée des chemins ), O resto é silencio , 1943 (Le reste est silence ), à contre-courant du modernisme, qui préfère les romans à thème rural ou provincial. Érico Veríssimo est le romancier de la ville moderne. O Tempo e o Vento , 5 vol., publiés de 1949 à 1962 (Le Temps et le Vent ) est une fresque qui retrace l’histoire du Rio Grande do Sul, destinée à devenir un des plus grands monuments du roman. Le plus grand de tous ces romanciers est Graciliano Ramos (1892-1953), dont l’œuvre est relativement restreinte. Caetés (1933), son premier livre, fut suivi d’une série de chefs-d’œuvre: São Bernardo , 1934 (Saint Bernard ), Angústia , 1936 (Angoisse ), Vidas secas , 1938 (Sécheresse ). Infância , 1945 (Enfance ), Memórias do cárcere , 4 vol., 1953 (Mémoires d’un prisonnier ) est plus qu’un simple compte rendu de la déposition d’un homme incarcéré pour ses opinions politiques, mais pas tout à fait un roman, il jette, grâce à la finesse des notations, une lumière nécessaire sur l’art de Graciliano Ramos, romancier métaphysique. Le protagoniste est une conscience qui essaye de se réorganiser, au milieu du désordre du monde, en procédant à une analyse de sa situation, et qui trouve dans la reconnaissance de son échec l’ordre recherché. Telle est la cohérence que l’expérience permet d’acquérir, et que Graciliano Ramos révèle dans une langue pesée, dépouillée à l’extrême.

Les métamorphoses de la prose régionaliste

Avec son intégration d’une géographie et de grands phénomènes économiques et climatiques, mais aussi avec l’appropriation de la langue et de l’imaginaire populaires, la matrice littéraire régionaliste a continué à porter bien des fruits. Ce courant fut transcendé par João Guimarães Rosa (1908-1967) et son roman total, Grande Sertão: Veredas (Diadorim , 1956). La vaste ambition de l’auteur fut de créer un texte lisible à divers niveaux, tout à la fois épopée du sertão de Minas Gerais, intrigue psychologique, texte poétique et surtout œuvre métaphysique et religieuse. Son langage créatif s’appuie sur les tournures locales et les expressions archaïsantes qui se croisent avec des références antiques ou étrangères, et il obéit à une logique musicale aux effets incantatoires. Les errances du narrateur Riobaldo s’inscrivent dans un parcours initiatique marqué par la traversée du fleuve São Francisco. « Vivre est très dangereux », cette vérité scande un immense récit écrit sans concession à « la mégère cartésienne ». L’amour impossible de Riobaldo et de Diadorim, les faits et gestes des bandits d’honneur sont autant de fils pour se guider dans un univers placé sous le signe de l’ambiguïté.

Après l’œuvre capitale et presque infranchissable de Rosa, on a assisté à une renaissance de romans imprégnés par la culture du Nordeste où les mouvements populaires résistent aux pressions centralisatrices et réductrices des institutions nationales. João Ubaldo Ribeiro (1941) en est le meilleur exemple. Dans Sargento Getúlio (Sergent Getúlio , 1971), un homme de main raconte, en une triste mélopée, sa vie marquée par tous les hommes qu’il a abattus, mais aussi par les valeurs de courage et de domination qui font de lui une sorte de dragon. Cet infatigable hâbleur verra sa parole s’éteindre, comme si la civilisation avait signé l’arrêt de mort de son système archaïque.

L’indianisme resurgit sous de nouveaux atours avec l’anthropologue Darcy Ribeiro (1922) qui, sans idéaliser les Indiens, leur donne la parole. Dans Maíra (Maïra , 1978), il réussit, à travers une intrigue policière, à croiser des itinéraires existentiels en modelant les divers récits selon des univers mentaux très variés, notamment le monde mythique des Amérindiens.

Une littérature qui s’universalise

Parallèlement au courant régionaliste, une mouvance plus secrète du roman d’introspection se développait chez Cornélio Penna (1896-1958), auteur de A Menina Morta (La Petite Morte , 1954) et chez Lúcio Cardoso (1912-1968), auteur de Crónica da casa assassinada (Chronique de la maison assassinée , 1959). Cette sensibilité vit également éclore un écrivain inclassable et particulièrement attachant, Clarice Lispector (1925-1977). Ses textes troublants, faits d’une écriture de pure vibration, déroutent le lecteur, car l’auteur refuse toute intrigue romanesque pour se concentrer sur les situations limites où s’opèrent de soudaines et mystérieuses ruptures dans la vie d’un être. Dans A Paixão segundo G. H. (La Passion selon G. H. , 1964), la narratrice a été fascinée par un cafard au point de le sacrifier et de l’avaler, dans une parodique communion « noire ». Le discours mystique se voit détourné au profit de l’épiphanie de l’écriture. De plus en plus nombreuses, les femmes écrivains enrichissent la production littéraire de leurs voix. Ainsi Lygia Fagundes Telles (1923), dans des contes incisifs (O Seminário dos ratos , Le Séminaire des rats , 1977), montre dans quel luxe de problèmes psychologiques vit la bourgeoisie de l’opaque et fébrile São Paulo.

Parmi les auteurs de textes courts, retenons l’univers sordide et impitoyable de l’énigmatique Dalton Trevisan (1925, O Vampiro de Curitiba ; Le Vampire de Curitiba , 1965), celui plus fantastique de Murilo Rubião (1916-1991; O Pirotécnico Zacarias ; Le Pyrotechnicien Zacarias , 1974) ou, plus proche de la marginalité, de João Antõnio (1937; Malagueta, Perus e Bacanaço , 1963). Par ailleurs, J. J. Veiga (1915) a écrit des fables dans « la logique du mystère » comme A Hora dos ruminantes (L’Heure des ruminants , 1966), qui furent interprétées comme un message de révolte contre l’oppression au lendemain du coup d’état militaire de 1964. Cette préoccupation devrait être attribuée plus légitimement à Antônio Callado (1917), qui propose dans Quarup (Mon Pays en croix , 1967) une allégorie de la formation du Brésil ainsi que de ses impasses politiques.

Les romanciers majeurs de cette période récente nous semblent être Osman Lins (1924-1978), Autran Dourado (1926), Rubem Fonseca (1925) et Raduan Nassar (1935). Quatre écrivains d’une extrême exigence. Avec rigueur, Lins atteint une grande modernité formelle avec Avalovara (1973) et Nove, novena (Retable de Sainte-Jeanne Caroline , 1966). Son œuvre universelle est tout entière tournée vers l’expérimentation, en particulier dans la construction « géométrique » du récit. Sa matière romanesque veut servir la souffrance de son peuple. Dourado, écrivain artisan, récupère la mémoire d’épisodes historiques féroces de la décadence de la province de Minas Gerais dans Os Sinos da agonia (La Mort en effigie , 1974). Fonseca, d’une écriture fébrile et efficace, construit des romans à structure policière dont l’ambiance est proche du cinéma noir (A Grande Arte , Le Grand Art , 1984). Nassar atteint une écriture novatrice, soit qu’il épouse le rythme intériorisé de Lavoura arcáica (La Maison de la mémoire , 1975), soit qu’il adopte celui plus électrique et vibrant de Um copo de cólera (Un verre de colère , 1978). Dans une prose économe, sorte de flot rétif, cette œuvre rare renouvelle les métaphores du mal de vivre.

Dans les divers genres littéraires, retenons l’œuvre atypique et grandiose du mémorialiste Pedro Nava (1903-1984) qui construit une fresque savoureuse en donnant vie aux souvenirs d’une vieille famille implantée dans diverses régions du pays. Sa prose charnue, d’une vitalité débordante, redonne une mémoire à une culture souvent amnésique (Baú de ossos , L’Arche des os , 1972).

L’exceptionnelle qualité de la fiction a son équivalent dans la poésie. João Cabral de Melo Neto (1920), dans un parcours presque ascétique, réussit à construire des textes avec la rigueur d’un ingénieur. Son régionalisme d’épure n’accepte aucune compromission avec le folklore. Après O Cão sem plumas (Le Chien sans plumes , 1950), il aborde la forme de longs poèmes théâtralisables, tels que Morte e vida severina (1956) et l’Auto do Erade (1984). Avec Périclés Eugênio da Silva Ramos (1919) et, entre autres, Mauro (1912) et Dantas Mota (1913), Bueno de Rivera (1914), Marcos Konder Reis (1922), Geir Campos (1924), Lêdo Ivo (1924) appartient à la même génération dite de 1945, mais il n’hésite pas à s’adonner à une poésie non conformiste dont le lyrisme est d’une grande prégnance verbale (Central poética , La Centrale poétique , 1976). L’inspiration lyrique nourrit la poésie métaphorique d’un Carlos Nejar (1939) et la production à la fois quotidienne et mystique d’une Adélia Prado (1936). Une rupture s’est produite avec la poésie « concrète » de Augusto (1931) et Haroldo de Campos (1929), ou Décio Pignatari (1927), qui ont cherché de façon inventive à enrichir le texte d’une dimension graphique, et donc visuelle, en lui incorporant le design contemporain. Une dissidence politique du mouvement concret a donné le poème « sale » de Ferreira Gullar (1930; Toda Poesia , Toute la poésie , 1980). En s’inspirant du « haiku » japonais, Paulo Leminski (1944-1989) a produit une poésie métisse, à la fois provinciale et très informée.

Le théâtre connaît une production des plus variées, qui va du retour à l’inspiration ibérique et populaire avec Ariano Suassuna (1924) jusqu’aux pièces urbaines de Nélson Rodrigues (1912-1980). Dans son théâtre « désagréable », celui-ci crée des monstres qui violent la morale pratique et quotidienne. Ces êtres merveilleusement théâtraux exhibent sans pitié l’inconscient brésilien.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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